Un livre de Quéinnec Jean-Paul (dir), Dallaire Carol, Giguère Andrée-Anne, Juteau Elaine, (2016), ed. Sagamie.
“Ce livre est un lieu. Il prolonge les expériences vécues. Un autre territoire, un déterritoire même, comme nous le faisons depuis 2009 en nous délocalisant vers d’autres disciplines, pays et cultures. Ici, le déplacement se produit à partir de nos documents d’archive. Car, même si ce livre est le témoin de deux projets que nous allons vous présenter, il est avant tout un montage entre des références et l’absence de leur contexte. Puisqu’il semble vain de vouloir tout dire, le mieux est d’assumer une écriture indicielle, plus accueillante qu’explicative, pour s’emparer librement d’un contenu toujours en processus. Ce livre est alors un montage dans le sens où de l’air et de l’écart parsèment tout autant les matériaux d’origine que cet espace éditorial. Textes, sons et photos apparaissent parfois comme des phrases détachées, libérées de leur récit.
En complicité avec Andrée-Anne Giguère et Elaine Juteau, Carol Dallaire et Magali Baribeau-Marchand du Centre SAGAMIE se penchent minutieusement sur les images référentielles. Comme des auteurs, ils entretiennent la dynamique d’écriture qui fut la nôtre en se préoccupant d’abord de la résonance de ces images. D’autant que ces deux étapes, Simoncouche et Bogotá, ne sont pas une destination. On ne livre pas ici la finalité d’une recherche, mais bien plutôt une suite de résultats, une ramification d’écriture(s), de matières certes repérables mais ouvertes… Sans être un ouvrage théorique qui proposerait un retour critique, on donne à découvrir ces circonstances où notre pensée s’égare, où notre savoir s’altère, où l’inattendu guide notre cheminement : « Nous ne devons avoir peur ni de donner forme au savoir ni de donner forme à notre non-savoir. Façon d’ouvrir grand notre regard à l’inattendu, à la déconcertation du symptôme » dit Didi-Huberman, pour qui « chercher le savoir, c’est chercher la pensée », c’est trouver une forme toujours dans l’en cours de sa formation. Guillaume Thibert lui s’empare des archives sonores. Pour lui aussi, le choix ne consiste pas seulement à restituer un travail. Il écoute des sources décontextualisées et reconstruit un nouveau paysage sonore pour créer le disque inséré dans cet ouvrage. Pour ma part, dans un prolongement aux cahiers de recherche, aux comptes rendus et aux archives sonores des participants, je compose un montage des textes de chacun qui évoque ce dispositif d’écoute et d’écriture que sont ces deux projets in situ.
Enfin, il me semble que cet ouvrage entretient le mouvement de notre processus collaboratif, le relance même, grâce à l’accompagnement chaleureux et rigoureux de SAGAMIE Édition d’art et de son directeur, Nicholas Pitre. Ce livre de création est ainsi la cartographie d’un montage de deux expériences menées l’une dans la nature avec l’appui de l’Université de Québec à Chicoutimi, et l’autre dans la ville avec la collaboration du Mapa Teatro à Bogotá, en Colombie. Si nous valorisons l’éloignement de ces deux géographies, l’enjeu de recherche et de création est au bout du compte le même. Dans un premier temps, se mettre en situation d’écoute pour écrire en tenant compte des sons et de nos actions dans un environnement. Dans un deuxième temps, prolonger ou transposer cette immersion pour créer une performance in situ ou dans un lieu fermé.”
Jean-Paul Quéinnec.